Rencontre avec le diabolus ex machina

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article jacques r&b diavolus

Chacun connaît, naturellement, l’intervention surnaturelle qui permet à l’auteur de théâtre de se sortir d’une situation inextricable, réputée sous le doux nom latin de deus ex machina.

De cet habile procédé des Anciens, l’on applique désormais le nom à toute intervention saugrenue, inattendue ou téléguidée dans la vie.

Cette intervention revêt habituellement une saveur de salut, ce qui est bien réjouissant. Mais il faut savoir qu’elle possède son revers dans nos existences professionnelles, son envers, que l’on nommera donc enfin, parce que personne n’avait pensé à l’identifier plus tôt, diabolus ex machina.

Il est certain que vous le connaissez tous lui aussi, mais sans l’avoir identifié. Jugez plutôt.

 Souvenez-vous. Vous accompagniez la semaine dernière en tant que RH une visio marketing, où Alix dévoilait le fruit de son travail, une nouvelle plaquette de présentation de l’entreprise, destinée aux investisseurs. Toute l’équipe (près de dix personnes) avait sué sur cette plaquette, pour écrire, récrire les textes, choisir les illustrations, définir un format et une mise en page, remis cent fois l’ouvrage sur le métier. Vous-même aviez suivi le travail de près. Vous étiez donc assez heureux de ce qu’Alix s’apprêtait à montrer.

Mais voilà. Charles avait tenu à ce que Pierre du service juridique d’à côté participe aussi à la réunion. Et bientôt, c’est le drame.

« Sur la forme, commence Pierre, c’est catastrophique. J’aurais choisi du jaune plutôt que du violet. Etc. – Quant au fond, c’est intéressant, mais… »

Dix minutes plus tard, le travail d’Aix n’existe plus : réduit en lambeaux par Pierre et ceux qui sans réfléchir lui ont emboîté le pas. Tout est à reprendre, pour demain. Inutile de préciser qu’après quatre ou cinq essais de ce genre, à chaque fois attaqué et passé à la tronçonneuse, l’équipe accouchera deux mois plus tard d’un document qui ressemblant étrangement à la première version plaira à tout le monde !

Ce petit exemple, s’il vous a fait sourire, doit cependant nous apprendre ceci, notamment à nous, les managers et RH : le monde de l’entreprise, pour rester vivable et productif, doit éviter autant que faire se peut les avis inutiles, les intrusions sans objet, les vanités exercées à mauvais escient.

Mais surtout ceci : que chacun de nous peut être le diabolus de son voisin, sans y prendre garde. Et que le fond du métier est aussi de mettre tout en œuvre pour prévenir son arrivée : dans chaque processus, ai-je mis en place les garde-fou, les limites, l’organisation nécessaires ? Ai-je identifié toutes les parties prenantes du projet qu’elles soient nommées officiellement ou non ?

On peut aussi réfléchir à l’inverse et se demander : le diabolus porte-t-il pierre ? C’est bien possible. Il est ce signal, venu d’une vie plus intense, qu’il nous faut écouter les autres, à temps et à contretemps, et bâtir ensemble.